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L’importance du numérique dans l’enseignement | entretien avec Christophe Barrand, chef d’établissement du lycée Turgot, Paris 3ème

Tandis que l’Intelligence Artificielle a des impacts toujours plus forts sur le monde professionnel, quels sont les enjeux du numérique dans l’enseignement ?

La sonnerie retentit au Lycée Turgot. Les élèves du 3ème arrondissement de Paris se pressent pour entrer en classe tandis que monsieur Barrand nous accueille dans son bureau.

« C’est ma cinquième année en tant que chef d’établissement au lycée Turgot. J’ai commencé dans l’éducation nationale comme instituteur, c’était une période très riche ! Cette année, pour tous les proviseurs, est l’année de la réforme du lycée 2021; réforme qui fait entrer l’informatique et le numérique comme discipline à part entière au lycée » nous confie-t-il alors que nous prenons place dans son majestueux bureau.   

La révolution du numérique

« C’est un nouveau défi que l’établissement doit relever. Une transformation qui s’opère. Regardez ce que dit Michel Serres dans Petite Poucette. Les nouvelles technologies ont bouleversé notre société. L’idée de la trinité scolaire, une personne, un lieu, un objet (le maître, la salle de classe et le livre) se trouve « chamboulée » par la place que prend l’outil numérique dans nos vies. Regardez nos jeunes qui ne peuvent plus décoller leur regard de leurs Smartphones… Pouvons-nous réellement ne pas voir et prendre en compte cette transformation de nos vies dans la transmission des savoirs ? »

Michel Serres compare les changements contemporains à ceux induits par la révolution dans la diffusion des savoirs via la découverte de l’imprimerie. Les institutions ne suivent plus le progrès. Pour Christophe Barrand, les questions de fracture numérique d’hier et le tout numérique d’aujourd’hui ne prennent pas le problème dans le bon sens. Le support n’est pas un obstacle, chaque élève possède une connexion internet à la maison ; « la vraie question est que nous avons changé de monde et que nous ne mesurons pas encore les tenants et les aboutissants de cette révolution. Nous ne savons ni en prendre la mesure et donc ni y préparer les nouvelles générations ! »

Une mission rendue possible grâce à la réforme du lycée

« Je vais être franc, mon travail ici consiste à préparer les élèves à entrer dans le monde tel qu’il est. C’est-à-dire, un monde moderne, d’excellence, une société de « compétition » même si ce mot déplaît dans notre éducation nationale (enfin, surtout dans les établissements qui ne sont pas des établissements publics d’élite). Cela fait trente ans que se pose la question de l’informatique et ce n’est qu’aujourd’hui que le sujet est réellement abordé grâce à la réforme du lycée. Aujourd’hui nous posons une  révolution de l’enseignement du numérique au lycée en deux étapes : 

  • En classe de seconde, tous les élèves aborderont l’informatique dans une matière appelée SNT (Sciences du Numérique et Technologie). Dans ce temps consacré à l’informatique, ils aborderont bien des sujets, des relations entre informatique et société en allant vers la programmation et l’initiation aux algorithmes.
  • En classe de  première les élèves pourront choisir une option de 4 heures par semaine « Numérique et Sciences Informatiques » et en faire une spécialité de 6 heures par semaine en classe de  terminale. La réforme de monsieur Blanquer est ambitieuse et bien sûr une source de questionnements !

Cette réforme induit de vrais choix pour l’élève, plus de neuf spécialités lui seront proposées, dont le numérique qui prend une place à part entière. Nous commençons à mesurer la place du numérique dans l’avenir de nos jeunes en en faisant une discipline d’enseignement, au même titre que les langues, l’histoire ou la philosophie. Il faudra nous garder d’opposer toutes ces disciplines entre elles, mais cultiver les synergies et questionner l’ensemble. L’élève doit être amené à regarder ses apprentissages en les questionnant quant à leurs portées sur sa vie future  »

Mais dans quel monde allons-nous vivre ?

Pour Monsieur Barrand, nous entrons, voire nous sommes, dans le monde de l’Intelligence Artificielle (IA). Dans l’IA, il y a deux parties : l’artificiel et l’intelligence. « Les élèves doivent travailler de plus en plus leur intelligence et nous devons les y aider ».  Pour ce proviseur, il faut savoir être toujours curieux, se poser toujours des questions, ne pas s’angoisser devant les choix qui nous sont demandés.

Au contraire, pouvoir choisir sa formation est signe de richesse. A son sens, l’élève est là pour développer son goût de la découverte et cela ne peut se faire sans un certain goût de l’effort.

« Ces jeunes sont beaux et intelligents. Mais être jeune ne dure pas. Et être beau est une notion relative. En revanche, dans notre monde de l’IA il faut développer en permanence son agilité intellectuelle et c’est finalement l’activité principale du genre humain depuis toujours. »

Le bât blesse lorsque nous parlons de projections et de perspectives. Nous sommes encore dans une vision à très court terme, d’après le Proviseur du lycée Turgot. Il nous confie que les enseignants enseignent encore trop souvent comme on leur a enseigné. Nos méthodes sont trop souvent tournées vers le passé. Alors que nous devons accompagner nos jeunes qui vont entrer dans la société de demain ou d’après-demain.
La projection dans le futur est primordiale. Lorsqu’il montre une des fenêtres de son bureau à un nouvel élève, ce n’est pas une vitre de verre qu’il propose de regarder. Mais pourquoi pas une passerelle de livraison, voire une station de taxi drone. C’est cela que les jeunes doivent se préparer à voir à assez brève échéance.

« Nous sommes dans un monde où tout ira très vite. Se projeter dans la société telle qu’elle sera est une nécessité ».

En fait, l’idée est de penser des perspectives nouvelles qui pourraient se développer de façon à faire tomber les angoisses devant ces évolutions inéluctables.

Se questionner sur la place du travail

Si le drone peut remplacer le livreur, évidemment, nous allons vite nous questionner sur la place du travail. Pour Christophe Barrand, il faut alors voir l’innovation comme une opportunité : ne pas avoir peur de l’évolution du monde. Bien sûr, chaque médaille a son revers. Par exemple, l’IA posera dans de brefs délais la question d’une nouvelle citoyenneté et de notre liberté.

L’école a pour mission de faire des élèves des citoyens pensants, curieux, critiques et pour finir productifs, dans le monde de demain. Nous devons aussi commencer à nous questionner sur les concepts de citoyenneté et de production de demain, sur la relation au travail…

« L’objectif de l’école est de faire aimer ce qui est beau dans un monde qui évoluera très vite. Dans le « beau », il y a toutes les valeurs humanistes de notre société. Et ces valeurs sont fortement questionnées par l’arrivée des nouvelles technologies »

De la question du travail à la question de la liberté

Une des problématiques découlera de la relation au travail, nous le voyons déjà dans le développement du « télétravail ». Notre relation au travail est basée sur le fait d’échanger son travail contre un équivalent argent, n’est-ce pas caduc ? Les 35H existeront-elles encore demain ? Et quel sera le sens de gagner beaucoup d’argent ? Demain, à quoi ressemblera la société et quel sera le rôle de l’activité humaine ? En tant qu’enseignant, dans la formation de l’élève de demain, il faudra se poser la question de sa rentrée dans un monde totalement réinventé. Il faudra imaginer comment la société sera, et il faut s’en préoccuper dès maintenant. Ce qui fait science- fiction aujourd’hui sera sans doute le réel de demain.

Nous parlions de revers de la médaille, comment ne pas avoir en tête les images de Skynet ? L’innovation et le numérique ne posent pas uniquement la question du travail ou de la citoyenneté, mais bien aussi celle de la liberté. Certains pays sont passés du Big Data à Big Brother. La surveillance est un revers de l’accumulation des données. Il devient même possible de construire un mode de pensée à partir des conversations d’un individu. Le problème qui en découle est par exemple l’ingérence dans un processus démocratique. Comme, semble-t-il, des élections comme aux Etats-Unis.

Nous avons alors demandé au chef d’établissement du lycée Turgot comment les élèves pourront-être préparés à toutes ces évolutions. Or, monsieur Barrand nous a répondu que la question à poser était plutôt : est-ce que nous prenons conscience de cette évolution ? « L’intelligence ne fait pas du côte à côte. La réforme du lycée nous invite à enseigner les disciplines en synergie. Nous allons pouvoir enseigner la spécialité NSI au lycée Turgot en ouvrant sur les sciences sociales, la philosophie et les sciences politiques. L’informatique nécessite une vraie réflexion plurielle et pas simplement technique. »

Réfléchir à un projet d’établissement c’est mettre en perspective les nouvelles technologies et la connaissance. Voilà notre nouvelle mission pour le lycée de demain

 

Valentine
Valentine

Arrivée sur terre il y a quelques lustres, Valentine entre aujourd’hui dans le métier de la communication. C’est non sans intrépidité qu’elle a intégré la Sorbonne en philosophie après une classe préparatoire littéraire (A/L). Après un mémoire sur la place de l’éthique dans la société actuelle à partir d’Aristote, Valentine poursuit son cursus en éthique appliquée. Autrement dit elle s’intéresse aux actions des entreprises et des institutions publiques, proposant alors des solutions de conseil afin d’accompagner leurs prises de décision. Au coeur de l’économie numérique, les rouages de la communication autour de l’innovation la passionnent. C’est pour cela que Valentine a rejoint l’équipe de Tikibuzz, une agence de communication et de marketing, en 2018. Aujourd’hui, elle a le plaisir de s’aventurer sur le terrain de l’éditique et de la gestion de la communication client, afin de vous proposer chers lecteurs, des reportages et des témoignages pour votre média DOCaufutur.

Written by Valentine

Arrivée sur terre il y a quelques lustres, Valentine entre aujourd’hui dans le métier de la communication.
C’est non sans intrépidité qu’elle a intégré la Sorbonne en philosophie après une classe préparatoire littéraire (A/L). Après un mémoire sur la place de l’éthique dans la société actuelle à partir d’Aristote, Valentine poursuit son cursus en éthique appliquée.
Autrement dit elle s’intéresse aux actions des entreprises et des institutions publiques, proposant alors des solutions de conseil afin d’accompagner leurs prises de décision. Au coeur de l’économie numérique, les rouages de la communication autour de l’innovation la passionnent.
C’est pour cela que Valentine a rejoint l’équipe de Tikibuzz, une agence de communication et de marketing, en 2018.
Aujourd’hui, elle a le plaisir de s’aventurer sur le terrain de l’éditique et de la gestion de la communication client, afin de vous proposer chers lecteurs, des reportages et des témoignages pour votre média DOCaufutur.