Notre feuilleton sur les vocables nouveaux nés dans le sillage de la digitalisation, touche à sa fin. Pour ce dernier épisode, nous avons pensé inédit de donner la parole à un observateur singulier des usages du digital et de ses impacts : le professeur Benavent! Comme il le dit lui-même, « je ne suis pas linguiste mais l’observation de ce phénomène de néologisme ne laisse pas indifférent ». Professeur à l’université de Paris X, il estime que ce dernier résiste bien à la transformation d’un langage que les étudiants sont amenés à rencontrer, ne serait-ce qu’à la faveur du Bring your own device (ou BYOD), porté par les jeunes générations. Celles-là même qui ont connu le HTML 5 sur les bancs universitaires, à la différence de Harald Grumser, PDG de Compart, qui en parlait à ses convives lors des derniers Comparting comme s’il s’agissait d’un modèle de voiture bien connu, confirmant bien qu’il s’agissait de vocables opérationnels réservés aux initiés comme le soutient Christophe Benavent.
Propos recueillis par Emmanuel Mayega
3 questions à : Christophe Benavent, Professeur à l’Université Paris Ouest et Docteur en Sciences de Gestion de L’IAE de Lille
« Ces nouveautés lexicales illustrent la vie matérielle du langage »
DOCaufutur : Quelle explication donnez-vous à ce dynamisme langagier ?
Selon nous, l’irruption du néologisme dans le sillage du développement du digital montre comment le lexique change avec les enjeux de représentations sociales : pas d’implication de l’académie pour gérer cela au quotidien. Il illustre la vie matérielle du langage que l’on a toujours connu. Avec un alignement sur le paradigme du moment. Ainsi, là où la révolution industrielle s’accompagnait d’un lexique adapté, le digital à l’œuvre voit poindre de nouveaux vocables. Smartphone, par exemple, devient récurrent et remplace le téléphone. Mais nous l’utilisons toujours pour téléphoner, passer des coups de fils. Des mots qui alimentent notre discours au sein de l’entreprise là où auparavant c’était les autoroutes et leurs représentations qui avaient libre cours.
DOCaufutur : Comment expliquez-vous cette création abusive de néologisme ?
C’est très simple : nous sommes dans un monde qui créé tout le temps. Notre société prolifère des objets nouveaux auxquels nous devons trouver des noms. C’est une façon de les légitimer en générant un nouveau lexique.
Dans le milieu professionnel cela se traduit par un jargonnage, nouveau langage du moment, réservé aux initiés. Du coup, chaque milieu créé son nouveau langage qu’il faut s’accaparer pour en faire partie. On se légitime naturellement, comme une tribu, en le maîtrisant : c’est une sorte de sous-culture particulière.
DOCaufutur : Quel est l’impact sociétal de ce nouveau langage ?
Il permet de fixer les catégories y compris socio-professionnelles : Regardez comment le vocable de l’économie collaborative devient courante dans notre société du digital et met en valeur la notion de partage. On parle également d’économie on demand avec en toile de fond le cloud, toute une philosophie et un rapport à la technologie.
S’établit alors une lutte intestine et sociale entre les mots. Et ceux qui gagnent sont ceux qui seront portés au pinacle. Ainsi va la vie, y compris des mots!