La croyance actuelle selon laquelle les technologies nous feront perdre nos emplois, est mise à mal par la profession de Data Scientist.
Avec le développement de l’intelligence artificielle, de la data science et de l’analyse du Big Data, le marché français de l’emploi dans ces secteurs est en plein essor. On estime ainsi la création ou la consolidation de postes de Data Scientists à environ 130 000 d’ici 2020. A échelle européenne, ce chiffre s’élève à 3 millions[1] d’ici 2020.
Actuellement, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se tourner vers le métier de Data Scientist sans vraiment le comprendre. Le terme en lui-même fait penser au premier abord à des scientifiques en blouse blanche, élaborant des problématiques complexes qui n’ont qu’un intérêt purement théorique pour les entreprises. La réalité est bien différente, à la fois en ce qui concerne le véritable rôle du Data Scientist et son importance d’un point de vue pratique pour l’entreprise.
C’est pour cette raison que les entreprises devraient s’inquiéter sérieusement du manque de Data Scientists sur le marché du travail, qui pourrait bientôt coûter à de nombreux secteurs des milliards en opportunités perdues.
La fonction du Data Scientist
Si l’argent fait tourner le monde, on peut affirmer aujourd’hui que ce sont plutôt les données qui font tourner les entreprises. Chaque jour, particuliers et entreprises créent en moyenne 2,5 exaoctets d’information, sous la forme de données structurées et non structurées. Ces informations, en raison de leur taille, de leur format et de leur répartition sur un grand nombre de plateformes et de silos différents, seraient perdues sans Data Scientists : ils sont en effet en mesure de transformer ces données brutes en base de connaissance exploitables pour résoudre des problèmes concrets.
Un bon Data Scientist est bien plus qu’un mathématicien, un statisticien ou un rédacteur d’algorithmes, même si ces compétences sont évidemment essentielles pour bien assurer cette fonction, car la data science ne se limite pas aux calculs, mais nécessite l’application de compétences variées pour résoudre des problèmes spécifiques à un secteur d’activité. Cela signifie qu’on ne peut pas placer un statisticien fraîchement diplômé à un poste de Data Scientist et lui demander de produire des résultats dès son premier jour. Ce travail va au-delà de la théorie pure. Les Data Scientists doivent avoir une compréhension approfondie des secteurs dans lesquels leurs connaissances seront nécessaires. En plus des mathématiques, de l’ingénierie et de la visualisation des données, un Data Scientist doit souvent comprendre comment fonctionne la supply chain, les finances, la logistique, les ressources humaines ou tout autre domaine.
Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait une pénurie de ces spécialistes de la donnée sur le marché du travail et que leurs salaires soient très élevés.
ROI de la data science
Les bons Data Scientists ne sont pas « bon marché ». Une étude récente menée par Hired révèle que leur salaire moyen s’élève à 50 000 euros brut par an à Paris et 129 000 dollars aux États-Unis (San Francisco), avec des revenus nettement plus élevés pour les plus expérimentés.
Mais utilisée de façon judicieuse, la data science est l’une des meilleures affaires que peut faire une entreprise. Car en transformant des milliards d’octets en informations exploitables, les Data Scientists peuvent apporter des solutions à des problèmes de longue date, identifier des processus inefficaces, développer de nouvelles sources de revenus, identifier de nouveaux marchés, améliorer la sécurité des données, optimiser le service client et fournir des réponses à toutes les interrogations auxquelles les entreprises se retrouvent confrontées.
Si la data science était considérée comme un luxe il y a quelques années, cela n’est plus vrai aujourd’hui compte tenu des avantages commerciaux que la discipline confère à ses utilisateurs, comme l’accélération des délais de commercialisation pour ne prendre qu’un seul exemple. Dans presque tous les secteurs d’activités, les entreprises ont besoin de la data science pour rester compétitives. Mais mettre la main sur les bons profils devient de plus en plus difficile.
La pénurie des compétences
L’ampleur de la pénurie de compétences en matière de data science est si grande, qu’on devrait presque être dans la peau d’un Data Scientist pour comprendre ce phénomène. La Commission européenne estime que l’UE aura besoin de 346 000 Data Scientists supplémentaires d’ici 2020, tandis qu’aux États-Unis, les estimations varient entre 100 000 et 190 000.
Aux Etats-Unis, seules 8 000 personnes obtiennent un diplôme en science ou en analyse des données chaque année. La réalité est plus alarmante pour la France qui ne compte que 1087 Data Scientists diplômés en 2016, selon Microsoft France, ce qui reste très loin du besoin des entreprises à l’heure actuelle[2]. C’est une bonne nouvelle si vous êtes l’un de ces rares diplômés, moins pour les entreprises qui ont un besoin urgent de talents pour libérer la puissance des données dans leurs silos.
Mais le faible nombre de diplômés en data science ne représente qu’une partie du problème. Comme nous l’avons évoqué précédemment, personne ne sort de l’université avec toutes les compétences nécessaires pour faire la différence dans l’univers de l’entreprise. Peu importe le niveau de compétences techniques qu’ils possèdent, les jeunes diplômés auront besoin de plusieurs années en entreprise pour parvenir à mettre en pratique la théorie pour résoudre des problèmes spécifiques.
Le défi auquel les entreprises sont confrontées est donc double : comment accéder au talent brut dans un premier temps, puis monétiser ces compétences afin qu’elles puissent être appliquées aux différents domaines de l’entreprise ? Dans la Silicon Valley, il est assez fréquent de voir les entreprises recruter les meilleurs diplômés de la promotion et les mettre au département de recherche et développement, en espérant qu’ils y apporteront de la valeur, tout en les formant pour devenir opérationnels dans d’autres départements.
Une autre approche pour atténuer ce problème consiste à faire en sorte que les talents sortant de l’université soient formés par l’entreprise. Cela devient possible s’il y a un engagement constant et strict entre le monde universitaire et celui de l’entreprise, et éventuellement des aides des pouvoirs publics. Par exemple, une partie du programme d’études pourrait être consacrée à l’acquisition de compétences en entreprise grâce à des stages rémunérés, ainsi qu’à un travail d’analyse pratique spécifiquement lié à l’entreprise d’accueil. Ceci bénéficierait tant aux diplômés qu’à l’industrie qui profiterait du regard neuf de ces jeunes étudiants pour résoudre les problèmes de data science.
Trouver la bonne approche prendra donc du temps. À plus court terme, les entreprises doivent élaborer une stratégie pour acquérir les talents dont elles ont besoin, notamment en offrant des avantages pour attirer les meilleurs Data Scientists, ainsi qu’une formation sur le terrain afin qu’ils génèrent de la valeur le plus rapidement possible. Si cela peut sembler coûteux, les entreprises devraient considérer cette approche comme stratégique, et aussi importante que tout investissement qu’elles feront au cours des dix prochaines années.
Par Dr. N.R. Srinivasa Raghavan, Chef de l’équipe Data Sciences chez Infosys
[1] Source : https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/Feuille-de-route_big-data151214.pdf