La question du paiement est indéniablement liée à la législation. Mais qu’en est-il à l’heure de la disruption des Marketplaces ? Entre casse-tête réglementaire et responsabilité challengée, comment les cartes sont-elles rebattues entre les différents acteurs du paiement ?
Etat des lieux à l’heure de la disruption
Historiquement un acte de paiement est simple : la chaine de valeur était structurée autour d’un acheteur et d’un vendeur. Le paiement représentait initialement l’étape finale d’une transaction entre les deux parties, déclenchant la logistique de livraison. Aujourd’hui, ce nouveau modèle de vente place la Marketplace en tant qu’intermédiaire dans la transaction. Certes, le système des places de marché existe depuis des siècles : rien d’étonnant à l’existence d’un endroit où des vendeurs et des acheteurs viennent échanger des biens et des services. Ce qui change, c’est le contexte où l’échange a lieu : aujourd’hui une plateforme numérique, c’est-à-dire un site de vente en ligne où la transaction n’utilise plus de monnaie fiduciaire.
En plus d’une plus large diversité de l’offre (catalogue étendu) ou encore de diverses propositions de modalité de livraison, la Marketplace doit fournir un service de paiement, car c’est elle qui porte la facturation pour le compte d’un tiers. Le processus de la transaction lors duquel le PSP (Prestataire de service de paiement) était l’intermédiaire entre l’acheteur et le vendeur est maintenant modifié. Alors qu’aujourd’hui il y a un vendeur A, B, C, etc., le travail de l’émetteur du moyen de paiement ne change pas ; il n’y a toujours qu’un acheteur mais par contre, il y a maintenant plusieurs bénéficiaires à payer pour la même transaction. Comment s’adapter à n personnes (vendeurs) différentes, c’est-à-dire à n procédures et conformités différentes ?
Le casse-tête réglementaire
La complexité majeure du paiement apparait au moment où la Marketplace doit refacturer tous ses vendeurs. Et c’est exactement à ce même moment que le régulateur intervient ! Il y a une véritable obligation de contrôle : que faire en cas de faillite de l’intermédiaire ? La DSP1 (Directive sur les services de paiement) et la DSP2 sont là pour mettre en conformité et faire appliquer les règles du jeu : interdiction stricte de faire du profit et de faire crédit avec l’argent des vendeurs. Alors comment le marché s’adapte ?
L’établissement de paiement se présente comme un passe-plat et met les fonds en séquestre ; similaire à ce qui est fait dans une transaction immobilière. Dans le cas d’un montage conforme, l’établissement de paiement, déclaré auprès d’un état européen lui-même contrôlé par la banque centrale européenne, assure la protection des vendeurs et des acheteurs. La Marketplace peut alors choisir d’être « agent » ou de se déclarer établissement de paiement auprès des régulateurs.
Une norme qui paraissait folle il y a encore dix ans en Europe devient peu à peu une norme partagée par tous. La mise en séquestre devient un modèle type à l’international. De la même manière qu’on ne paye pas un appartement avec une valise de billets, l’étape « séquestre » s’impose dans le monde des Marketplaces comme une évidence.
La question de la responsabilité challengée
Les impacts sur le paiement sont évidents, et les risques aussi ! L’implication de tous les acteurs participe à une économie interconnectée. Le risque étant un effet papillon ou un effet domino si l’un des acteurs ne respecte pas les règles du jeu. Cette potentielle mise en péril du tissu économique inquiète les régulateurs. En effet, les Marketplaces prennent de plus en plus de place dans l’économie numérique. Elles représenteraient un trilliard (soit 1 suivi de 21 zéros) de dollar en 2020 ! D’où l’importance urgente d’adopter des solutions de paiement protégeant tant les vendeurs que les acheteurs.
Pour parer à ces éventualités, la réconciliation d’une Marketplace doit être parfaite. Souvenez-vous, la Marketplace gagne son argent grâce à son rôle d’intermédiaire. L’exemple européen qui interdit de faire crédit aux personnes, donc d’être à découvert, impose de savoir quoi payer et à qui pour ne pas avoir de problèmes réglementaires. Si demain la Marketplace n’est pas en conformité : c’est la fermeture du compte bancaire assurée ! D’où la nécessité absolue d’avoir une bonne réconciliation des flux financiers qui prend en compte l’ensemble des règles comptables et permet de payer les vendeurs sans trop perçu ou moins perçu.
L’épineuse gestion des impayés (chargeback)
Comment faire si un consommateur se fait pirater ses informations, puis que le malfaiteur achète un voyage ? Les risques d’impayés (chargeback) ne cessent d’augmenter. Représentant 40 milliards de dollars cette année, les impayés ont de quoi terroriser le marché. Comment prendre en compte un impayé dans une règle de calcul ? A qui en imputer la responsabilité ? La question de l’arbitrage dans ce type de situation n’a pas encore été normalisée alors que les experts prévoient une augmentation toujours plus grande de la fraude pour les années à venir.
L’exemple des Etats-Unis est frappant : le chargeback lié à la suppression d’une ligne de crédit est une pratique courante qui peut asphyxier économiquement une Marketplace. Imaginons une Marketplace constituée de 2 000 vendeurs générant chacun un impayé par mois. Si l’acquéreur facture 20$ systématiquement, cela représente au final un total de 40 000$ qui seront à payer par la Marketplace ou par ses vendeurs. Aujourd’hui il n’existe pas de solution uniforme et réglementaire. En dehors d’être une grosse Marketplace et d’imposer, à ce titre, la répercussion du chargeback sur ses vendeurs, les autres places de marché auront le délicat choix cornélien de reporter, ou pas, l’impayé sur leurs vendeurs, et ainsi de voir potentiellement fuir ceux qui ne seraient pas prêts à subir ces pertes. Cette situation mettant de facto le business model à risque. Affaire à suivre !