La dématérialisation est le graal de ce début de siècle. Les bénéfices promis incitent au lancement de nombreux projets. Suivis de déconvenues réelles car les résultats immédiats sont rarement à la hauteur des attentes. La raison majeure : une dématérialisation qui laisse le papier au cœur du sujet.
En 1987 l’économiste Robert Solow pointait le paradoxe que « les ordinateurs sont partout, mais pas dans les statistiques de productivité ». 30 ans plus tard la question ne se pose plus : le bond de productivité est évident. Trente années pour que les organisations digèrent le changement, que les processus intègrent les impacts de la rupture, et que les utilisateurs modifient leurs pratiques et comportements. Bref, le temps de se débarrasser des oripeaux du passé et des standards anciens.
Il en est de même avec la dématérialisation. Son introduction brutale dans les organisations se traduit rarement par une réduction brutale de la consommation de papier ou par des gains de productivité immédiats. Bien au contraire…
Supprimer le papier et ses fantômes
Dématérialiser c’est supprimer le support papier. Les documents papier convertis en images numériques deviennent plus faciles et économiques à manipuler, à stocker, à consulter…. L’opération doit donc forcément faire disparaître l’ensemble des coûts imposés par le support physique.
La pratique est plus complexe : il y a un réel risque de copier-coller en mode numérique des pratiques et habitudes du monde papier. En effet, le papier a façonné les processus et pratiques. Remplacer le papier par un PDF ne suffit pas : il faut aussi supprimer tout ce que le support physique « papier » imposait aux pratiques et processus ; pratiques et processus historiquement construits autour du papier.
Or les impacts pratiques du papier sont tellement ancrés dans nos habitudes qu’on ne les perçoit pas facilement. C’est par eux que les fantômes du papier deviennent de petits démons. Les documents numériques deviennent ubiquitaires, accessibles immédiatement et facilement : autant de facteurs dé-multiplicateurs d’impressions, qui viennent obérer le ROI attendu.
Penser sans papier, penser information, penser fluidité
La réussite durable d’un projet de dématérialisation passe par l’élimination des références au papier dans les processus et pratiques. Un peu d’histoire… le papier a été le système d’information pendant des années, puis le système d’information s’est informatisé en parallèle du papier.
Aujourd’hui le SI peut très bien vivre sans le papier. Les ERP et PGI qui structurent les entreprises, fonctionnent parfaitement sans produire du papier. Ils intègrent des processus totalement dématérialisés qui sont largement suffisants et tellement efficients. Ce sont de mauvaises habitudes et de mauvais réflexes dans la relation à l’information qui dévoient ces processus, et font vivre en marge d’eux un monde du papier, comme un voile jeté sur le monde informatique.
L’enjeu de la dématérialisation n’est pas de travailler les interfaces entre le monde du SI et le monde dit « réel », avec des signataires électroniques, de la numérisation, des PDF prêt à imprimer et circuler. L’enjeu est de repenser le processus en termes de flux d’information libres de tout support, de données exploitables qui circulent avec fluidité, bref configurer le processus sous forme nativement numérique. Bénéfice collatéral : les processus et l’organisation sortent de cette cure de dématérialisation simplifiés et efficients.
Le 0 papier, plus qu’une affaire de génération, une affaire d’environnement de travail
L’action doit dépasser les seuls processus et toucher l’environnement de travail. Celui-ci est souvent marqué par le papier : des imprimantes dans tous les coins, des étagères, des dossiers… Des jeunes dans des processus « paper friendly » imprimeront autant que des seniors ; un senior dans un environnement « paper less » réduira ses impressions. De manière radicale, l’absence d’imprimantes conduit rapidement les utilisateurs un construire un rapport à l’information débarrassé du papier.
Point de vigilance, les pratiques de travail et la culture de l’entreprise sont à revisiter également. La marque du papier y est fréquente : il y est un symbole d’autorité. Le nombre de signataires et la hauteur de la pile de papier sur le bureau sont synonymes d’importance ; l’autorité s’affirme par des annotations sur un document… Un ordinateur en réunion y est parfois encore vécu comme un manque d’attention, contrairement au bon vieux bloc note ou cahier qui attestent d’un collaborateur sérieux.
Bref, bannir le papier en théorie est bien ; éviter de lui laisser tous les pores de l’organisation ouverts c’est mieux… La dématérialisation doit s’appréhender avant tout en termes de relation à l’information ; à la fois dans les modalités de cette relation et dans sa symbolique culturelle. La dématérialisation, un sujet pour les anthropologues… ?