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IA et agriculture avec Gérald Germain, CEO de Carbon Bee

Gérald Germain est fondateur – CEO de Carbon Bee & Carbon Bee AgTech, une jeune entreprise française spécialisée dans le développement de solutions d’imagerie agronomique pour la santé des plantes.

Carbon Bee est aujourd’hui reconnu pour sa solution reposant sur un capteur hyperspectral couplé à un logiciel basé sur le Deep Learning pour interpréter les images des plantes. Dispositif qui permet de lutter contre les maladies, de réduire l’usage des intrants et d’avoir un pilotage ultra précis des cultures.

 

 

 

D’après Research and Markets, le marché de l’IA appliqué au secteur agricole devrait atteindre 2,5 milliards de dollars d’ici 2025… Peut-on parler aujourd’hui d’une généralisation de l’IA appliquée à l’agriculture ?

Une généralisation de l’intelligence artificielle, c’est peut-être un peu présomptueux. Il y a une généralisation de l’informatique, une informatisation de l’agriculture qui arrive depuis quelques années, et plusieurs révolutions : la révolution mécanique qu’il y a eu dans les années 60, la révolution plutôt chimique qui a eu lieu dans les années 70-80 et aujourd’hui on connaît plutôt une révolution qui est du domaine de l’informatique. On va apporter différentes choses dans l’agriculture, donc l’IA est un gros outil de création de valeur dans ce domaine-là. L’agriculture en profite évidemment.

 

Quelles sont les initiatives internationales les plus emblématiques de cette révolution en marche ?

Ce qui est le plus emblématique, ou en tout cas le plus démonstratif, c’est probablement les robots agricoles. On voit des travaux agricoles qui sont entièrement automatisés par des petits engins qui vont dans les champs, c’est très démonstratif et c’est assez emblématique de ce point de vue-là. On a une machine qui prend des décisions, qui va aller éventuellement désherber un champ, désherber une parcelle de maraîchage, je trouve ça assez démonstratif de ce que pourrait être l’agriculture de demain par la porte de l’intelligence artificielle.

 

« Une machine qui prend des décisions, qui va aller éventuellement désherber un champ, je trouve ça assez démonstratif de ce que pourrait être l’agriculture de demain par la porte de l’intelligence artificielle. »

 

Comment se situe la France dans cette course à l’Agtech ?

Déjà on a de vraies belles startups et de vraies belles compétences dans le domaine de l’intelligence artificielle et de l’informatique au sens général, dédiées à l’agriculture de précision tout particulièrement. Et puis on a un environnement réglementaire et législatif en Europe qui est assez contraint. On a en effet plutôt de l’avance on va dire, par rapport à d’autres pays ou à d’autres régions du monde, sur la réduction des produits phytosanitaires ou des choses comme ça, ce qui impose finalement de trouver des plans B pour échapper à des contraintes. Si on n’a plus le droit de mettre un produit chimique dans un champ, ça crée un nouveau problème, et l’apport de l’intelligence artificielle là-dedans permet de contourner l’obstacle ou d’améliorer la situation face à ce manque. Et c’est vrai qu’en France et en Europe, le fait d’être un peu en avance réglementaire sur ces aspects-là, ça force à innover beaucoup plus que dans certains pays comme les États-Unis ou d’autres régions du monde comme le Brésil par exemple, où finalement le produit phytosanitaire est encore autorisé, et donc les besoins sont déjà couverts par la chimie.

 

Le développement d’une agriculture AI-driven pose la question de l’accompagnement des agriculteurs… Les agriculteurs sont-ils prêts aujourd’hui à adopter pleinement ces nouvelles applications ?

Je pense que oui, je dirais que l’agriculteur, contrairement à ce qui peut être perçu par le public, est déjà soumis à des changements réguliers dans ses moyens de travail. L’itinéraire technique pour travailler un champ change très régulièrement. Il y a des révolutions tous les dix ans dans l’agriculture qu’on ne voit pas forcément parce qu’à la fin, nous on a notre assiette remplie avec un aliment sans forcément voir ce qui se passe derrière. L’agriculteur est habitué à changer en fait en permanence ses pratiques culturales dans les champs, y compris dans le côté vétérinaire d’ailleurs, et ça on ne le voit pas forcément. Donc les nouvelles technologies, qu’elles soient mécaniques, chimiques ou informatiques, il les vit au quotidien et à chaque nouvelle amélioration, il les adopte parce qu’il y a une valeur ajoutée pour lui. Donc je dirais que l’agriculteur est prêt à l’adopter à une seule condition, c’est qu’on lui démontre un gain dessus. Il ne va pas s’embêter avec du gadget, si par contre on augmente le rendement dans son champ, si on réduit les phytosanitaires ou les coûts, il n’y a pas de problème. Si on réduit son temps de travail également – parce que ce sont des gens qui travaillent beaucoup, qui passent beaucoup d’heures pour des revenus qui sont dans certains cas discutables… Dès qu’on va apporter des éléments concrets d’amélioration sur un de ces aspects-là, évidemment je n’ai aucun doute sur le fait qu’il adoptera ça sans problème.

 

« L’agriculteur est habitué à changer en permanence ses pratiques culturales dans les champs. Il ne va pas s’embêter avec du gadget, mais si on augmente le rendement dans son champ, si on réduit les phytosanitaires ou les coûts, je n’ai aucun doute sur le fait qu’il adoptera ça sans problème. »

 

Quels sont les gains, les améliorations pour les agriculteurs ?

Le gain est à différents endroits. Quand on a un foncier qui est limité, on ne va pas détruire de forêt supplémentaire. Dans certaines régions du monde c’est particulièrement le cas, prenons l’exemple de l’huile de palme, qui est vraiment emblématique de ce côté-là : on n’a plus le droit de prendre de nouvelles surfaces foncières pour des raisons écologiques assez évidentes. Donc comment augmenter le rendement sur cette parcelle-là tout en gardant le même foncier, avec les techniques que l’on a ? C’est là où l’apport de l’IA ou de l’informatique va être assez intéressant, c’est-à-dire qu’on ne change rien, la parcelle est là, elle existe, on a déjà détruit la forêt, on ne va pas la détruire plus ; par contre si on augmente le rendement, si on augmente le gain, là l’adoption de la technologie paraît assez évidente. Et en plus de ça si on arrive à réduire les intrants, alors il y a deux aspects : un aspect écologique assez évident, on va mettre moins de produit dans le champ ; et puis un aspect économique qui est assez évident également : on achète moins de produits au total. Donc tous ces aspects-là, ça permet d’optimiser largement la parcelle foncière qui est dédiée à ça. Mais c’est vrai également sur les cultures plus petites en France : le défi qu’on peut avoir à résoudre c’est de démontrer la valeur ajoutée de ces outils de l’informatique dans le champ, à la fois sur le temps de travail, sur le plan financier – quelles économies on va pouvoir faire -, sur le plan écologique, qui est assez évident. Et il y a un autre plan, qui est assez évident également, c’est de montrer que ça marche et que c’est robuste, donc un plan très technique. Il y a un vrai défi là-dessus et l’IA a ce problème-là, je pense, de façon assez générale : comment démontrer que ça marche dans tous les cas alors qu’on est sur un système qui est hautement complexe, qui va prendre certains bouts de décisions ; comment démontrer que cette décision est toujours la meilleure ? Ce n’est pas si simple que ça quand on parle d’intelligence artificielle, c’est beaucoup plus simple quand on parle d’un thermostat pour le chauffage, on peut le démontrer, voire même utiliser les maths pour le démontrer. Pour l’IA c’est beaucoup plus complexe. C’est là qu’il y a un vrai défi de confiance vis-à-vis du public et vis-à-vis de l’utilisateur : l’agriculteur.

 

« Il y a un vrai défi avec l’IA : comment démontrer que ça marche dans tous les cas, alors qu’on est sur un système qui est hautement complexe, qui va prendre certains bouts de décisions ? C’est là qu’il y a un vrai défi de confiance vis-à-vis du public et vis-à-vis de l’utilisateur : l’agriculteur. »

 

 

Quels seront les défis humains, techniques et financiers à relever pour permettre au secteur de tirer profit du potentiel énorme de l’IA ?

Comme je le disais, le défi est avant tout technique : le fait qu’on puisse démontrer que ça apporte un gain, que ça marche toujours, c’est assez évident que ce soit la première porte d’entrée. Le deuxième défi, c’est de démontrer qu’on apporte un gain à la culture, au rendement, à l’écologie, à différents paramètres, qu’il y a un plus avec cet apport-là. On ne va pas acheter et mettre en place un système qui change toutes les pratiques de cultures si on n’a pas un gain notable sur un des aspects qui intéresse soit l’agriculteur, soit le consommateur final, soit tous les éléments de la chaîne alimentaire. Cette valeur il faut qu’elle soit perçue par les différents acteurs pour que l’adoption soit évidente. Et puis il y a un défi qui est évidemment financier : on ajoute de la technique, ça a un coût, un coût à l’utilisation, un coût à l’achat, un coût à différents endroits, donc ce coût doit être largement compensé par le gain qu’on a en face.

 

Un environnement sous pression : Avec deux milliards de bouches supplémentaires à nourrir d’ici à 2050, la multiplication des épisodes de sécheresse, les conséquences dévastatrices du dérèglement climatique en général et une pression financière qui ne cesse de s’alourdir sur les agriculteurs… La transformation de nos modèles de production s’impose comme l’un des défis clés de notre humanité… L’IA peut-elle être une réponse à ces grands enjeux du 21ème siècle ?

 

Il y a un enjeu dans le domaine agricole, qu’on peut certainement généraliser à pas mal de domaines de la société : on ne peut pas continuer à détruire des forêts pour nourrir une population qui croît. On se retrouve également avec d’autres problématiques, la mondialisation étant passée par là, on se retrouve avec des insectes d’un certain continent qui ont été transportés sur un autre continent, qui vont transporter aux-même des maladies qui viennent d’autres continents, donc on se retrouve avec une pression sanitaire sur les cultures qui est de plus en plus grande parce qu’on a brassé un peu tout ce qui peut être nuisible à une culture. Et face à ça, on a une population qui grandit toujours et donc un besoin de nourrir cette population qui est évident. Donc on est contraints sur le foncier, on ne peut pas mettre toute la terre entière en culture, d’ailleurs ça a un effet assez néfaste pour la nature elle-même, et il faut continuer à nourrir tout le monde. Donc là il faut des révolutions – il y en a déjà eu : la mécanique et la chimie ont largement fait leur travail pour augmenter les rendements, par rapport à il y a un siècle, les rendements n’ont rien à voir grâce à ces apports-là. Alors il y a une contrepartie à ça, on appauvrit les sols avec la chimie, il y a plein de choses… La prochaine révolution est clairement technologique, l’IA étant clairement emblématique de ce côté-là. On va apporter un vrai gain, sans aucun doute, et on le mesure déjà aujourd’hui, sur certaines cultures, on apporte une vraie valeur ajoutée de rendement, même d’économie, par l’apport de la décision ou de l’aide à la décision informatique, qu’on peut qualifier d’IA dans certains cas mais ce n’est pas toujours tout à fait de l’IA, mais le gros enjeu est ici, je pense.

 

Dans quelle mesure l’action de CarbonBee s’inscrit aujourd’hui dans cette lignée ?

Carbon Bee propose un système de frappe chirurgicale dans un champ. Dans certains cas, on ne peut pas se passer de produits phytosanitaires parce qu’on n’a pas de solutions alternatives simples – je ne dis pas qu’il n’y en a pas, mais elles ne sont pas toujours simples. Donc ne mettre que 3 ou 4 % du produit que l’on mettait auparavant en faisant de la frappe lourde permet deux choses : ça permet déjà de réduire ce produit, donc les coûts et l’écologie ; et accessoirement, le fait de mettre le produit au bon endroit, de mettre un désherbant sur les mauvaises herbes et pas sur la culture, ça permet aussi à la culture de mieux se développer, donc on augmente également le rendement de la culture. Notre solution, qui s’inscrit dans cette volonté d’amélioration, c’est de mettre juste le produit au bon endroit et le moins possible.

 

Un nouveau modèle agricole plus raisonné, intelligent et durable est-il en train d’émerger ?

Je dirais que oui, la chaîne agroalimentaire avec le consommateur au final et le producteur à l’entrée est en train de beaucoup changer. Le consommateur a d’autres attendus, on consomme de plus en plus de bio, ou en tout cas on est conscients de ce qu’on consomme et de l’impact que ça peut avoir éventuellement sur la nature, sur la société ou sur différentes choses. Donc c’est un besoin au bout de la chaîne qu’on est obligés de prendre en compte. Pareil sur les aspects écologiques et de continuité de survie de l’espèce humaine sur la terre tout simplement, si on veut vraiment aller très loin. Donc tout ça on est obligés de le prendre en compte. Ce modèle agricole est vraiment en mutation, mais il a toujours été plus ou moins en mutation pour avoir des rendements. Là le modèle plus intelligent, plus durable, plus raisonné, prend en compte ces paramètres extérieurs, et on voit un gros mouvement depuis une vingtaine d’années de ce côté-là, et on le voit dans les supermarchés, on propose du bio plus facilement aujourd’hui qu’auparavant et c’est assez emblématique finalement de ce modèle agricole qui évolue. Chez nous on est souvent en contact avec des agriculteurs, tout à fait conscients de l’impact qu’ils peuvent avoir sur l’environnement, et c’est largement pris en compte pour la plupart de ces gens-là, de manière tout à fait intelligente d’ailleurs.

Valentine
Valentine

Arrivée sur terre il y a quelques lustres, Valentine entre aujourd’hui dans le métier de la communication. C’est non sans intrépidité qu’elle a intégré la Sorbonne en philosophie après une classe préparatoire littéraire (A/L). Après un mémoire sur la place de l’éthique dans la société actuelle à partir d’Aristote, Valentine poursuit son cursus en éthique appliquée. Autrement dit elle s’intéresse aux actions des entreprises et des institutions publiques, proposant alors des solutions de conseil afin d’accompagner leurs prises de décision. Au coeur de l’économie numérique, les rouages de la communication autour de l’innovation la passionnent. C’est pour cela que Valentine a rejoint l’équipe de Tikibuzz, une agence de communication et de marketing, en 2018. Aujourd’hui, elle a le plaisir de s’aventurer sur le terrain de l’éditique et de la gestion de la communication client, afin de vous proposer chers lecteurs, des reportages et des témoignages pour votre média DOCaufutur.

Written by Valentine

Arrivée sur terre il y a quelques lustres, Valentine entre aujourd’hui dans le métier de la communication.
C’est non sans intrépidité qu’elle a intégré la Sorbonne en philosophie après une classe préparatoire littéraire (A/L). Après un mémoire sur la place de l’éthique dans la société actuelle à partir d’Aristote, Valentine poursuit son cursus en éthique appliquée.
Autrement dit elle s’intéresse aux actions des entreprises et des institutions publiques, proposant alors des solutions de conseil afin d’accompagner leurs prises de décision. Au coeur de l’économie numérique, les rouages de la communication autour de l’innovation la passionnent.
C’est pour cela que Valentine a rejoint l’équipe de Tikibuzz, une agence de communication et de marketing, en 2018.
Aujourd’hui, elle a le plaisir de s’aventurer sur le terrain de l’éditique et de la gestion de la communication client, afin de vous proposer chers lecteurs, des reportages et des témoignages pour votre média DOCaufutur.